Si vous êtes venu(e)s à Avignon pour vous faire surprendre, casser les codes et sortir du cadre, ce spectacle vous plaira.

Il m’a emmené en mer agitée me laissant fracassée par la houle.

Le comédien m’a confié : Il faut avoir l’esprit ouvert ! Je confirme.

Tout est décalé et dérangeant : l’histoire tragique sans pathos, Le sujet tristement d’actualité traité avec recul, la violence des mots s’oppose à l’élégance du jeu.

L’orient et l’occident, le son du bouzouki et le rap des mots.

J’ai aimé le rythme et l’énergie de ce spectacle, j’ai aimé les voix, la danse, les percussions, les excès et la sobriété du comédien terriblement doué.

Je ne veux pas en dire plus, tentez l’expérience Europa et laissez-vous embarquer par vos ressentis.

Natacha Régnier-Ledieu

"Où le Pied ne va pas, le Regard Peut l'Atteindre. Où le Regard s'Arrête, l'Esprit Peut Continuer", a écrit Victor Hugo.

Dans cette même logique, on peut estimer qu’Il y a ceux qui rêvent et ceux qui se lancent.

Europa : dès les premiers instants, on sait que l’on ne lâchera pas le fil…

Ce spectacle va nous saisir, à n’en pas douter. Et il nous saisit ; il nous tient jusqu’à la fin.

Une scène ; un acteur joueur/danseur, un autre musicien bouzouki en mains.

Commence la musique qui nous accompagnera de bout en bout, bouzouki interrompu parfois par des percussions endiablées.

Il y a d’abord ce qui peut sembler être une attente. Là sur une plage d’Algérie, Nadir et Jamel, deux adolescents campés par le même acteur Ovnatan Avédikian,  également metteur en scène .

Un jeu impressionnant, tout en mouvance, en mimiques, en expressions, à la fois jeu et danse. Il bouge, tourne sur lui-même ou en de larges cercles, se déplace,  occupe la scène puis se fige ; se ramasse, s’accroupit,  se roule au sol, se relève….et recommence.

L’intensité est poignante,  le réalisme saisissant.

Une gestuelle forte dans laquelle le costume joue un rôle indéniable : pantalon souvent remonté,  tee-shirt ôté,  veste enlevée puis remise directement sur la peau…

Les deux adolescents pourraient être en vacances, plongeant pour l'un, sautant pour l’autre des rochers, dans les eaux de la Méditerranée, sous un ciel immensément bleu. Symboles de l’été !

Ils échangent entre eux comme le font les ados,  en langage des cités, parlent avec envie de ceux qu’ils connaissent et qui sont déjà «partis", là-bas, de l’autre côté de la Grande Bleue, photos à l’appui.

Le rêve !  Regards portés au-delà de la mer, vers cette Europe qui le cristallise.

Loin de cette Afrique, synonyme de guerres, de massacres, d’exactions,  de tortures et d’intégrisme… dont certaines descriptions nous font serrer les dents et les poings.

Loin de cette Algérie où la rouerie est de mise si l'on veut posséder ces technologies qui, à prix d’or, vous permettent d’exister et de rivaliser, où des marques comme Sony et Nokia représentent le summum du paraître !

Toujours l’attente…

Nadir et Jamel restent là, à la tombée de la nuit. Ils ne sont pas seuls en réalité. Les autres sont cachés dans des grottes. Tous guettent L’Esperanza, un bateau qui doit les emmener jusqu’à Lampedusa, et  dans lequel ils vont embarquer ; trente individus dont un handicapé, un passeur, un ingénieur, un ancien flic, un artiste peintre, un poète aveugle, pour seulement dix places prévues.

Une couverture tirée du sac, protégeant de la fraîcheur nocturne dans un premier temps, va ensuite représenter cette fragile embarcation. Une couverture en forme de peau de bête.

À présent assis ou couché,  l’acteur qui mime tous ces émigrés marque la peur, l’angoisse de la nuit, de la dérive,  des garde-côtes avant l’arrivée…

Puis la panique, le drame. En effet, tous ne rejoindront pas la côte ; le rêve pourtant, à portée de mains.

Le rêve enfin réalisé pour certains. Mais à quel prix !

Un spectacle saisissant, au rythme fou !

Durant une heure nous devenons immigrés parmi les migrants d’Afrique.

Difficile dès lors de porter le même regard sur cette problématique et sur les événements liés.

Dérangeant, évidemment ! Pour notre bien mais surtout celui de l’humanité.

Catherine  GIRAUD

Europa : un spectacle à couper le souffle !